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L’oncle Sam revient vers l’Afrique

Par - Publié en décembre 2020
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L’ambition est de renouer avec un niveau d’échanges autour de 100 milliards de dollars. SHUTTERSTOCK

La page sombre des relations entre les États-Unis de Donald Trump et le continent se tourne. L’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche devrait restaurer des relations économiques plus dynamiques. Même si le concept d’«America First» restera dominant. L’Afrique devra se montrer plus attractive.

P resident-elect Joe Biden. Au lendemain de l’élection de l’ancien vice-président de Barack Obama à la MaisonBlanche, l’indice FTSE de la Bourse de Johannesbourg progressait de 1,4 %. La hausse paraît timide, mais c’est la plus élevée depuis août, stimulant 101 des 141 valeurs cotées. L’événement a aussi dynamisé la devise, le rand grimpant à son plus haut niveau depuis huit mois. «Une présidence Biden devrait jeter les bases d’un avenir durable à long terme pour les États-Unis et l’économie mondiale», s’enthousiasme, dans une note, Annabel Bishop, de la banque d’affaires sud-africaine Investec.

Ayant ignoré le continent pendant son mandat, Donald Trump ne manquera pas aux Africains. Mais ceux qui s’attendent à un virage à 180 degrés de la politique américaine en Afrique en seront pour leurs frais. «Joe Biden a pris soin de ne pas trop promettre. Il n’y a eu aucune référence durant la campagne à une augmentation des dépenses fédérales américaines pour l’aide et le développement en Afrique», a relevé sur son blog John Campbell, chercheur sur la politique africaine au Council on Foreign Relations (CFR), à Washington.

Dans un style à l’opposé de celui de Trump – c’est déjà une énorme différence –, Joe Biden s’inscrira dans la continuité. «Si l’administration Trump a poussé sa politique étrangère nationaliste “America First” à des niveaux sans précédent, cette tendance était déjà présente sous Clinton, Bush et Obama», a tempéré Adotei Akwei, le directeur adjoint du plaidoyer d’Amnesty International aux ÉtatsUnis, sur le site VICE World News.

Pour Trump, l’Afrique n’était qu’un terrain d’affrontement avec la Chine. La nouvelle administration devrait engager un combat moins frontal avec Pékin, mais la lutte contre l’influence chinoise restera une priorité. De 178 milliards de dollars en 2016, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique ont dépassé la barre des 200 milliards de dollars en 2019. 

Alors vice-président, Joe Biden avait rencontré le roi Mohammed VI en 2014, à Fez. FADEL SENNA/POOL/REUTERS

À l’inverse, pour ses 20 ans, le pilier de la stratégie commerciale américaine sur le continent, l’African Growth and Opportunity Act (Agoa, loi sur la croissance et les opportunités en Afrique) souffre. Lancée en 2000, elle accorde une franchise de droits de douane à l’entrée du marché américain à 6300 produits africains (dans les secteurs pétroliers, agricoles, textiles, de l’artisanat…). Une quarantaine de pays, en majorité subsahariens, en profitent.

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Alors vice-président, Joe Biden avait rencontré le roi Mohammed VI en 2014, à Fez. FADEL SENNA/POOL/REUTERS

L’objectif? Diversifier les échanges avec le continent pour favoriser l’industrialisation au sud du Sahara. Or, les produits pétroliers ont constitué les deux tiers des importations américaines… Après avoir quadruplé de 2002 à 2008, pour se hisser à 100 milliards de dollars, selon les chiffres de l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), les échanges bilatéraux ont chuté à 41,2 milliards de dollars en 2018, en raison de l’autosuffisance énergétique du pays. L’ambition de l’administration Biden est de renouer avec un niveau d’échanges autour de 100 milliards de dollars.

Comment? Pour l’instant, le flou domine. Dans son programme, le démocrate appelait de manière très convenue à renouveler «l’engagement respectueux des États-Unis envers l’Afrique avec une stratégie audacieuse qui réaffirme [leur] engagement à […] promouvoir la croissance économique, le commerce et les investissements, et soutenir le développement durable».

Rien de plus précis. Très rapidement, toutefois, le 46e président des États-Unis devrait renouer avec le multilatéralisme, ce qui devrait être profitable à la future Zone de libre-échange continentale (Zleca), et discuter de l’allégement de la dette. «La prochaine administration doit s’attaquer de toute urgence à la crise de la dette», confirme Judd Devermont, directeur Afrique au Center for Strategic and International Studies (CSIS), à Washington. Car malgré la décision du G20 de repousser le remboursement de la dette bilatérale au 30 juin 2021, les pays d’Afrique subsaharienne éligibles devront encore acquitter 127 milliards en 2021. L’administration Biden pourrait suggérer des moratoires plus longs sur la dette, des plans de sauvetage plus généreux et une flexibilité accrue sur les droits de tirage spéciaux au FMI. Le nouveau président pourra aussi dénoncer, avec des mots moins conflictuels que ceux de son prédécesseur, le poids de la Chine dans la dette africaine. Mais la réinitialisation de la politique économique américaine sur le continent se déroulera à l’occasion d’un sommet rassemblant des chefs d’État africains qui doit se tenir à Washington, à l’instar de ce qu’avait fait Barack Obama en 2014. Si aucune date n’est fixée, l’événement devrait à nouveau être organisé par Susan Rice, ancienne secrétaire d’État chargée des Affaires africaines sous Bill Clinton, qui a conseillé Joe Biden pendant la campagne. La Maison-Blanche fera aussi le tri entre les initiatives menées par le Congrès sous l’administration Trump pour rebâtir une politique cohérente. À l’arrêt depuis 2012, la Banque d’import-export des États-Unis (EXIM) a été ranimée en 2019. Elle dispose théoriquement de 135 milliards de dollars, dont 20 % destinés à neutraliser les offres chinoises en Afrique. Le 14 mai 2020, l’agence a ainsi validé un prêt de 4,7 milliards de dollars au profit du Mozambique pour construire une installation de gaz naturel liquéfié.

De même, Prosper Africa a vu le jour fin 2018. Cette initiative, qui rassemble plus de 15 agences gouvernementales, doit contrer la nouvelle route de la soie (Belt and Road) chinoise, avec la mission de doubler le commerce et l’investissement entre les États-Unis et l’Afrique. Malgré des débuts poussifs, Prosper Africa veut mettre en place un guichet unique pour faciliter l’accès des entreprises américaines à plus de 60 services de soutien. Cette initiative pourrait succéder à l’Agoa, qui expire en 2025. Le 17 novembre, John Barsa, l’administrateur par intérim de l’USAID, a annoncé qu’un programme d’échanges commerciaux et d’investissements de 500 millions de dollars sur cinq ans pourrait abonder Prosper Africa.

Autre brique posée par le Congrès en mars 2018, l’adoption du Build Act, qui a créé l’US International Development Finance Corporation (DFC), la banque de développement américaine, dotée de 60 milliards de dollars, contre 29 milliards pour l’institution à laquelle elle a succédé. Sa priorité: les infrastructures en misant sur le secteur privé. Il s’agit, là aussi, de contrer les placements chinois en Afrique, négociés entre États.

Sur le continent, l’attente est très forte. «L’Afrique a besoin d’investissements et de transferts de technologies pour construire des infrastructures, mécaniser son agriculture et créer des emplois pour ses jeunes. Nous attendons de Biden qu’il s’engage en Afrique en tant que partenaire commercial et investisseur sérieux», a lancé sur les ondes d’Al Jazeera Amy Niang, professeure sénégalaise de relations internationales.

Mais l’Afrique devra, elle aussi, se montrer plus attractive. «Une entreprise comme Tesla, dont 90 % des matières premières proviennent d’Afrique, n’a pas d’usine sur le continent. Ce n’est pas dû au coût de la main-d’œuvre, mais à des politiques fiscales trop contraignantes», assure l’économiste rwandais Liban Mugabo.