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l’agenda

Boubacar Boris Diop

Par Astrid Krivian - Publié en juillet 2016
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Traduire en wolof les chefs-d’oeuvre de la littérature mondiale : c’est le pari de l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop. L’auteur de Murambi, le livre des ossements, sur le génocide rwandais, Grand Prix littéraire d’Afrique noire pour l’ensemble de son oeuvre en 2000, se partage entre l’écriture, la traduction et l’enseignement.
 
SES LIVRES
La Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie est mon auteur du moment. Elle a un talent exceptionnel. Son dernier roman, Americanah, raconte avec beaucoup de finesse l’histoire d’amour entre deux étudiants nigérians, partagés entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique. Ses personnages ont une vraie épaisseur psychologique. Son premier livre, L’Hibiscus pourpre, publié alors qu’elle avait 26 ans, faisait déjà preuve d’une rare maturité. J’ai aussi beaucoup aimé Les Maquisards, de Hemley Boum, une saga familiale au coeur de la lutte pour l’indépendance du Cameroun. Et, entre roman et témoignage historique, Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, de Tania de Montaigne : l’histoire de cette adolescente qui lutta contre la ségrégation dans les années 1950 en Alabama. 
 
SA MUSIQUE
Actuellement installé au Nigeria pour enseigner, je redécouvre Fela Kuti (photo). Quel mystère, cette musique tellement jubilatoire, et pourtant née d’une violence, d’une révolte contre la corruption, la dictature ! Je l’avais vu en concert, à Lagos, il était quasi nu sur scène, tirant sur son joint, avec ses danseuses et chanteuses qui étaient ses épouses… C’était fou, mémorable ! Je suis aussi un grand amateur d’Ablaye Cissoko, le célèbre korafola et chanteur sénégalais. Son disque Le Griot rouge tourne en boucle dans ma voiture.
 
SON PROJET
C’est la nouvelle collection de livres Céytu : traduire en wolof les classiques de la littérature universelle. Cette démarche fait appel au meilleur de nous, au désir de dialoguer avec l’autre. Pour faire de nos différences le moteur de la parole. L’accueil médiatique est très positif ; l’autre défi, c’est voir les gens acheter les romans en librairie. C’est le début d’une aventure. On continue l’oeuvre de Cheikh Anta Diop, qui avait traduit dès les années 1950 de grands textes occidentaux. Et prouvé que les langues se parlaient entre elles.
 
SON VOYAGE
Suisse, Canada, Nigeria… Ma vie d’écrivain me mène toujours vers l’ailleurs. Je retourne bientôt aux îles Canaries. Je pensais que c’était très espagnol, mais j’ai découvert un morceau d’Afrique. C’est un lieu métis, où se rencontrent le Maghreb, l’Afrique subsaharienne, l’Europe… En dehors de la luxuriance de la végétation tropicale, certains paysages rocailleux ressemblent à ceux d’Iola (Nigeria), où je me trouve actuellement. Il y a aussi une petite ville, Agüimes, qui fonctionne en autogestion depuis une quarantaine d’années.
 
SA TABLE
J’aime écrire dans des cafés. J’ai besoin d’avoir du bruit, du monde autour de moi. Peut-être pour compenser un sentiment de solitude rendu plus vif par cette langue wolof que personne ne comprend autour de moi, à l’étranger… À Montréal, je m’installais chaque matin au café Première Moisson. J’y retrouvais l’esprit montréalais. Celui d’une société hyper développée, mais sans le stress ni l’indifférence des grandes villes. Tout n’est pas rose bien sûr, mais il y a une mentalité de quartier, les voisins se fréquentent… Un pays qui a conçu la théorie de l’accommodement raisonnable, pour accepter nos différences, et composer avec ce qui nous unit.
 
SON SPECTACLE
Je vais monter la pièce Une saison au Congo, d’Aimé Césaire, que je viens de traduire. Une façon d’universaliser le wolof, de l’amener à tutoyer le reste du monde. Et de contrer cette capitulation, fréquente chez les intellectuels africains, qui consisterait à aller à l’universel en s’oubliant soi-même. Or, pour citer le poète, « l’arbre ne s’élève vers le ciel qu’en plongeant ses racines dans la terre nourricière ». Chacun apporte sa contribution au grand chaudron de la mondialisation. La modernité, c’est l’approfondissement de soi dans le monde contemporain.
 
SON FILM
J’ai revu Hyènes, du cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambéty. C’est un film bouleversant sur la lâcheté humaine, une satire sur les hypocrisies de la société. Adapté de la pièce La Visite de la vieille dame, du dramaturge suisse Friedrich Dürrenmatt, il conserve cet esprit en théâtralisant à outrance. Les comédiens sont grimés, leur jeu déclamatoire, les décors démontables comme sur une scène, un parti pris esthétique purement carnavalesque pour ajouter du dérisoire, rendre la moquerie plus