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C'est comment ?

Gourmandise coupable

Par Emmanuelle Pontié - Publié en février 2020
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Tout le monde le subit, mais personne ne s’en émeut vraiment. Le phénomène s’est banalisé depuis des années. Les circuits de paiement en Afrique, publics en tête, sont de plus en plus longs, complexes, retardés par des tracasseries administratives et une foire orchestrée aux justificatifs et autres blancs-seings. L’idée, officiellement, c’est de sécuriser l’argent de l’État, d’éviter les détournements et les mains baladeuses dans les caisses. Très bien, et bravo pour le souci de moralisation du système…
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Mais la multiplication des étapes et des interventions sur les dossiers génère une hausse des opportunités de bakchich pour faire avancer la chaîne. Chaque petit fonctionnaire dépositaire d’un tampon magique est tenté de le monnayer. Et les sociétés, étranglées par des retards abyssaux… monnayent. On prévoit d’ailleurs le truc avant même que la facture ne soit établie. On sait d’avance que l’on va passer à la moulinette. Et l’augmentation des vérifications d’origine des fonds et de leur circulation, à la suite des montées des terrorismes dans le monde, retarde un peu plus le Schmilblick, engraissant encore plus de monde et étranglant encore plus de petites sociétés qui réalisent des marchés sur place. Même les banques et le privé, donc, s’y mettent. Envoyez un virement en Afrique, et votre débiteur le recevra parfois sur son compte une semaine plus tard, après avoir dû justifier de l’origine des fonds en répondant à des demandes de preuves de plus en plus compliquées, voire surréalistes.
 
Bref, complexifier les circuits à outrance arrange beaucoup de monde, arrondit les fins de mois de pas mal de gens. Mais d’un point de vue plus global, ces blocages exponentiels creusent la dette intérieure, forcent des centaines de petites sociétés à baisser le rideau quand elles comprennent, au bout d’années entières, que le Trésor a enterré définitivement leurs factures (parfois pour le rerouter sur un autre compte). Nous savons que les salaires de la fonction publique sont bas, insuffisants pour nourrir une famille. Nous savons aussi que le flou savamment organisé bénéficie bien sûr aux ponctions encore plus gourmandes, plus « haut placées ». Mais si les appétits, à tous les niveaux, continuent de grandir à cette vitesse, du plus haut au plus bas de l’échelle sociale, nos pays se dessinent un avenir bien compromis, avec une économie vouée à l’enlisement. C’est mathématique… et vraiment dommage pour les générations futures. Il faudrait peut-être y penser sérieusement, et voir un peu plus loin que son petit intérêt perso immédiat.