Investir l’urbain
C’est le récit habituel, celui de mégacités surpeuplées, dangereuses, dépassées sur le plan des infrastructures, des besoins sociaux. On égraine les chiffres de ces monstres urbains : Lagos (20 millions d’habitants), Le Caire (10 millions), Kinshasa (11 millions), Casablanca (7 millions), Abidjan (5 millions). On a la sensation que cela n’est pas vraiment contrôlable, que ces villes, et les autres aussi, peuvent s’étendre ainsi à l’infini, dans un chaos à peine maîtrisé… L’Afrique s’urbanise vite, la croissance démographique accentue ce phénomène et, avec la pression, les villages et les petits bourgs deviennent eux-mêmes des villes. Le paysage change littéralement mois après mois. L’urbanisation devient un aspect clé du développement. Pour émerger véritablement, il faudra investir dans les infrastructures, les transports, la connectivité, la circulation. Il faudra reverdir aussi, lutter contre la destruction de l’environnement et des littoraux. Installer la ville au cœur des politiques publiques à moyen terme. D’autant que ces cités sont aussi de formidables creusets de modernité et de changement. C’est là que s’invente la culture africaine de ce siècle. C’est là que se créent les métissages si nécessaires. C’est là, plus qu’ailleurs, que les démunis ont une chance d’accéder à l’école, à la formation. Et de sortir de la précarité. C’est là que les femmes se libèrent en partie du carcan patriarcal et des préjugés. Qu’elles gagnent en autonomie. Une citadine aura davantage accès à l’éducation, à la santé, au travail salarié qu’une femme isolée dans le monde rural. L’urbanisation accélérée contribue à une diminution rapide de la fécondité et à ralentir la croissance démographique. C’est déjà le cas au Maghreb.
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Il y'a quelques temps, dans le monde d’avant, un ami subsaharien nous avait résumé de manière frappante la perspective historique : « Nous aurions pu être comme les Indiens d’Amérique, balayés par la puissance de l’Occident, réduits à des réserves sur notre propre territoire. Mais nous avons survécu, et nous sommes bien vivants. » Oui, l’Afrique a survécu, elle s’est émancipée, elle passe les tempêtes, résiliente. On lui prédit régulièrement le chaos, la crise, l’effondrement. Depuis les années 1960, l’afropessimisme est une valeur sûre…
Une parenthèse tragique et non un point de départ : c’est ainsi qu’il faut percevoir les traumatismes de la traite puis du colonialisme. Nonobstant la colonie du Cap (1652) et une poignée de comptoirs, l’Afrique ne fut colonisée que moins d’un siècle, du partage de Berlin (1885) aux indépendances. Un siècle de spoliations qui ne saurait oblitérer des millénaires de complexité, malgré les discours ineptes sur l’homme africain « sans Histoire » (pour ne citer que Hegel…). Chacun connaît Lucy, hominidé de 3,4 millions d’années mis au jour en 1974 en Éthiopie, ou son aîné Toumaï, de 7 millions d’années, découvert au Tchad.
L’AFRIQUE est riche en ressources, et en énergie… et en talents. Son sous-sol est un trésor et son sol aussi. Elle dispose encore de 50 % des réserves mondiales de terres non cultivées ! L’Afrique est riche, mais ses citoyens sont pauvres. Elle est riche, mais encore dépendante d’un système hérité largement du modèle colonial et de son intégration dans l’économiemonde. Elle exporte ce qu’elle ne consomme pas. Et elle importe ce qu’elle consomme – pour schématiser.