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Jeannot Ahoussou-Kouadio
« Le pays a retrouvé ses couleurs ! »

Par Emmanuelle Pontié - Publié en avril 2018
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La création d’un Parlement bicaméral est intimement liée à la naissance des régions. Une nouvelle chambre qui accompagne une évolution majeure, la décentralisation, comme l’explique le ministre d’État auprès du président de la République, chargé du dialogue politique et des relations avec les institutions.
 
AM : Des institutions nouvelles ont vu le jour en Côte d’Ivoire. À votre avis, pourquoi maintenant ?
Jeannot Ahoussou-Kaoudio : Nous revenons de loin. En 1999, un coup d’État a mis à mal la société de droit qui était en train de se construire. En 2002, il y a eu la rébellion avec toutes ses conséquences. En 2010, nous avons connu une crise postélectorale avec plus de 3 000 morts. Et l’ensemble des instruments juridiques ont été mis à mal. À son arrivée, le président Alassane Ouattara, soutenu ensuite par le RHDP, a estimé qu’il fallait mettre en place les mécanismes capables de faire de la Côte d’Ivoire un État de droit. C’est pourquoi le 8 novembre 2016, une nouvelle Constitution a été promulguée, mettant fin à celle de la IIe République, qui était entachée d’un premier vice rédhibitoire : l’amnistie des auteurs de coups d’État. Ceux-ci étaient condamnés d’un côté et amnistiés par la Constitution de l’autre. Une contradiction à laquelle il fallait mettre fin. Et plus largement, nous devions offrir aux Ivoiriens une Constitution moderne, ouverte.
 
Elle a introduit d’autres nouveautés… 
Un des changements majeurs, c’est la création de la Chambre des rois. Ces derniers, dans nos sociétés africaines, tiennent une place importante. Ce sont des régulateurs sociaux. La nouvelle Cour des comptes contrôle, conseille, dans le cadre de la bonne gouvernance. 
Le Conseil économique et social a intégré l’aspect environnemental. Le président de la République a mis sur pied la Haute Autorité pour la bonne gouvernance. Il a par ailleurs largement expliqué pourquoi il fallait créer un Parlement bicaméral. Cela est lié à la création des régions, qui constituent aujourd’hui des pôles de développement à la base. C’est pour cela que le chef de l’État a souhaité approfondir la décentralisation.
 
Le Sénat sera mis en place le 10 avril. Qu’est-ce que cela va changer ?
Nous souhaitons communaliser toute la Côte d’ivoire. Aucun citoyen ne vivra en dehors d’une commune. Le Sénat viendra doper cette évolution. En ce qui concerne les collectivités décentralisées, les lois passeront d’abord par le Sénat avant d’aller à l’Assemblée nationale. Il prend aussi en compte notre diaspora, qui doit apporter sa contribution dans le développement du pays. Nous retrouverons dans la partie des sénateurs nommés, des Ivoiriens de l’étranger. Le président les choisira en fonction de la plus-value qu’ils ont pu acquérir en vivant ailleurs.
 
Un mot sur les élections municipales et régionales. Le mandat des maires échoit le 21 avril. Quand auront-elles lieu ?
Autour de juillet-août. On attend un fort taux de participation. Car les Ivoiriens ont vu la force des conseillers régionaux. Nous sommes membres de l’AIRF (Association internationale des régions francophones) et de l’Organisation mondiale des régions. Les bailleurs de fonds traitent directement avec les conseils régionaux. Ils veulent être visibles dans leurs actions au niveau local. Avec la Banque mondiale, nous avons par exemple lancé le projet Péjédec, qui créera 35 000 emplois à l’endroit des jeunes et des femmes. Et les régions sont les interlocuteurs et les maîtres d’ouvrage. Nous travaillons à asseoir un développement intégré, en créant des activités génératrices de revenus.
 
Quelles sont les prérogatives de la Haute Autorité pour la bonne gouvernance?
Elle oblige les gestionnaires de fonds publics à déclarer leur patrimoine. Elle peut interpeller, enquêter, saisir le procureur de la République pour des poursuites.
 
La CEI fait l’objet de critiques des partis politiques, qui réclament le départ de son président. Qu’en pensez-vous ? 
La CEI existe depuis 2001. De 2001 à 2014, elle a fait l’objet de 50 amendements ! En 2014, on s’est mis autour d’une table, on a pris en compte toutes les critiques. Il en est sorti une loi. Les partis politiques membres de la CEI ont choisi quatre membres qui siègent. Notre alliance des partis au pouvoir en a installé quatre autres. À l’intérieur de la CEI, un président a été élu, Youssouf Bakayoko. Dans la loi, il est précisé que son mandat est de 6 ans. Tous les commissaires de la CEI étaient d’accord. Ces derniers sont sortis de leurs partis politiques en prêtant serment. Ils sont indépendants. Cela ne plaît pas aux partis d’origine. Certes, un arrêt de la Chambre africaine des droits de l’homme a été rendu à propos de la CEI. Mais il n’est pas contraignant pour l’État ivoirien. Il s’agit de recommandations. Et nous prévoyons une refonte de toutes les institutions, anciennes et récentes, qui les rendra conformes à la nouvelle Constitution. La CEI sera concernée. Comme la loi sur les partis politiques, qui date de 1993 ! Il faut harmoniser tout cela, en tenant compte des arguments de la Chambre africaine des droits de l’homme, car la Côte d’Ivoire est un pays sérieux.
 
Quel est votre sentiment personnel sur l’évolution globale de votre pays ?
La Côte d’Ivoire a retrouvé ses couleurs. Les investisseurs viennent, on nous accorde une considération internationale, nous sommes membres non permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Aujourd’hui, on peut circuler librement. Il n’y a plus de barrages de police. Le gouvernement travaille à apporter sécurité et paix aux citoyens.
 
Que manque-t-il encore, selon vous ?
Il faut que les Ivoiriens construisent entre eux la confiance, protègent ensemble la paix retrouvée. Ils doivent décider qu’il n’y ait plus jamais de coup d’État, de rébellion, ni de chef d’État qui s’accroche au pouvoir, et que nous puissions vivre une passation apaisée entre un ancien et un nouveau président de la République élus. En résumé, devenir ce modèle promis à l’humanité, comme le dit notre hymne national.