L’Afrique est forte, résiliente
IIl y'a quelques temps, dans le monde d’avant, un ami subsaharien nous avait résumé de manière frappante la perspective historique : « Nous aurions pu être comme les Indiens d’Amérique, balayés par la puissance de l’Occident, réduits à des réserves sur notre propre territoire. Mais nous avons survécu, et nous sommes bien vivants. » Oui, l’Afrique a survécu, elle s’est émancipée, elle passe les tempêtes, résiliente. On lui prédit régulièrement le chaos, la crise, l’effondrement. Depuis les années 1960, l’afropessimisme est une valeur sûre… L’Afrique ne peut pas réussir… Pourtant, elle change, elle évolue, elle est là, peuplée de 1,2 milliard d’habitants. D’une certaine manière, elle est comme un centre du monde, un point de gravité au cœur de l’humanité, avec ses promesses, ses richesses, ses défis, les enjeux qu’elle porte. On parle, parfois un peu rapidement, d’émergence, de promesses du futur, de continent du XXIe siècle. Et puis, la Covid-19 est arrivée, portée par la mondialisation vers les côtes du continent.Le catastrophisme a repris ses marques médiatiques. L’Afrique, sous-développée, se devait d’être dévastée. « L’effet Pangolin », pour reprendre la note un peu hasardeuse d’un think tank du Quai d’Orsay. Pourtant, pour le moment, le continent est moins touché que le reste du monde. Le virus se propage par le voyage et l’Afrique reste malgré tout encore à l’écart des grands flux de passagers. Les États se sont montrés plus réactifs, plus organisés, plus habiles que prévu, malgré des systèmes de santé publique défaillants. Fermeture rapide des frontières extérieures, confinement « souple », isolation des grands centres urbains, sauvegarde des activités informelles, effort d’équipements médicaux… Certains pays sont nettement plus frappés que d’autres (Afrique du Sud, Algérie, Égypte…) mais une propagation incontrôlée et dévastatrice du virus n’est pas encore à l’ordre du jour. La crise sanitaire aura surtout révélé les fragilités économiques des États, leur dépendance à l’extérieur, à « l’Empire », pour les biens de consommation, pour l’alimentation, pour la valeur des exportations de matières premières… Mais l’(infra-)structure tient, l’Afrique ne s’effondre pas, la crise a aussi suscité une surprenante effervescence intellectuelle, artistique, politique, un débat vivant sur les paramètres de demain, les capacités de rebond et une nouvelle émancipation africaine.
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Une parenthèse tragique et non un point de départ : c’est ainsi qu’il faut percevoir les traumatismes de la traite puis du colonialisme. Nonobstant la colonie du Cap (1652) et une poignée de comptoirs, l’Afrique ne fut colonisée que moins d’un siècle, du partage de Berlin (1885) aux indépendances. Un siècle de spoliations qui ne saurait oblitérer des millénaires de complexité, malgré les discours ineptes sur l’homme africain « sans Histoire » (pour ne citer que Hegel…). Chacun connaît Lucy, hominidé de 3,4 millions d’années mis au jour en 1974 en Éthiopie, ou son aîné Toumaï, de 7 millions d’années, découvert au Tchad.
L’AFRIQUE est riche en ressources, et en énergie… et en talents. Son sous-sol est un trésor et son sol aussi. Elle dispose encore de 50 % des réserves mondiales de terres non cultivées ! L’Afrique est riche, mais ses citoyens sont pauvres. Elle est riche, mais encore dépendante d’un système hérité largement du modèle colonial et de son intégration dans l’économiemonde. Elle exporte ce qu’elle ne consomme pas. Et elle importe ce qu’elle consomme – pour schématiser.
C’est un chiffre connu et retentissant : 80 % des denrées alimentaires consommées en Afrique subsaharienne sont produites par les femmes, alors même que les régimes traditionnels de propriété foncière les excluent largement. Elles sont souvent au cœur du combat politique, de l’action de la société civile, et pourtant elles sont si peu représentées dans les structures réelles du pouvoir ! Elles sont députées, rarement ministres encore moins chefs d’État. Le décalage se fait souvent dès l’école, en particulier en Afrique subsaharienne. En 2018, le taux d’alphabétisation était de 73 % pour les garçons et de 59 % pour les filles.