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Une image, une histoire

Le Cap, 3 décembre 1967
LA PREMIÈRE GREFFE DU CŒUR

Par Astrid Krivian - Publié en décembre 2015
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C’EST L’ABOUTISSEMENT DE DIX ANS DE RECHERCHE ET UN VÉRITABLEEXPLOIT MÉDICAL. Ce que le professeur sud-africain Christiaan Barnard accomplit ce jour-là révolutionne la chirurgie cardiaque. Il lui aura fallu neuf heures, avec le soutien d’une équipe de trente personnes, pour réussir l’opération qui le rendra célèbre dans le monde entier et qui ouvrira la voie à une pratique aujourd’hui maîtrisée.

LA NUIT VIENT DE TOMBER sur la ville du Cap, en Afrique du Sud, ce 2 décembre 1967. Le professeur Christiaan Barnard sort en trombe de sa résidence et se dirige à toute allure vers l’hôpital Groote Schuur. Cette nuit, il va tenter ce que nul n’avait jamais osé, un projet fou, la greffe d’un cœur. Quelques minutes avant ce départ précipité, son adjoint, le docteur Venter, lui a annoncé au téléphone qu’il avait en?  n trouvé un donneur, Denise Ann Darvall, une jeune femme de 25 ans victime d’un accident de la circulation. En état de mort clinique, son cerveau est irrémédiablement endommagé, mais son cœur, lui, est en parfaite condition. La compatibilité des groupes sanguins établie, l’opération peut en?  n avoir lieu. Ce cœur, il va le greffer dans la poitrine d’un homme âgé de 55 ans, Louis Washkansky, qui souffre de diabète et d’insuf?  sance cardiaque. Une véritable première médicale.

L’intérêt du chirurgien pour cette spécialité trouverait son origine dans le décès prématuré de son frère Abraham, mort en bas âge d’une affection cardiaque. Son diplôme en poche, en 1946, ce ?  ls de pasteur se lance dans la recherche. Mais son pays est peu développé sur ce plan. Il décide alors de partir pour les États-Unis, où il suit plusieurs stages. Dans un premier temps, il devient l’élève du professeur Wangesteen à l’université du Minnesota. Après des études en chirurgie viscérale, il opte pour la cardiologie, notamment dans le service du professeur Shumway, l’un des pionniers en matière d’opérations cardio-thoraciques. De retour en Afrique du Sud en 1958, il intègre le Groote Schuur Hospital et c’est dans cet établissement qu’il commence ses nouvelles recherches. Il travaille d’abord sur le remplacement des valves cardiaques malades par des organes arti?  ciels, un procédé novateur à l’époque, tout en s’intéressant aux premières greffes de rein, dont le protocole venait d’être établi. Mais il lui faudra plus de dix ans d’expérimentations, notamment sur des animaux – il transplantera 48 chiens, avec des taux de survie de plus de dix jours –, pour parfaire sa technique ; une pratique qui, aujourd’hui, au regard des milliers d’opérations réussies, peut sembler banale. Mais pour la médecine des années 1960, parvenir à un tel exploit relève au mieux de la gageure, au pire de la folie. Un peu comme aller sur la Lune !

À la même époque, aux États-Unis, les anciens mentors du Sud-Africain travaillent aussi à ce même projet. Or la législation américaine n’a pas encore prévu le cas de coma dépassé ou de mort cérébrale, ce qui interdit de facto ce type d’opération. Aussi les équipes de Minneapolis et de San Francisco ne pourront en rester qu’au stade des essais sur animaux – plus d’un millier de chiens serviront à ces expérimentations.

Le 3 décembre 1967, le professeur, entouré d’une équipe d’une trentaine de personnes, passera plus de neuf heures au bloc, malgré les prémices de rhumatismes articulaires des mains qui le pousseront à arrêter sa carrière en 1983. Du jour au lendemain, ce chirurgien de 45 ans devient célèbre dans le monde entier. Avec sa gueule d’acteur, il pose fièrement à la une des journaux, à côté de son patient qui ne survivra que dix-huit jours après cette opération inédite, succombant à une infection pulmonaire. Nullement découragé, le professeur Barnard tentera une deuxième greffe un mois plus tard, sur un dentiste originaire du Cap, qui se verra greffer le cœur d’un métis et qui survivra dix-huit mois !

C’est après ses exploits que celui qui se mariera trois fois commencera à s’afficher au bras de people glamour comme Grace Kelly ou Sophia Loren – on lui prêtera même une liaison avec Gina Lollobrigida. Il défraiera aussi la chronique par ses prises de position contre l’apartheid, et son frère Marius, chirurgien également, sera élu sur une liste progressiste en 1980. Si ces tentatives ouvriront la voie à de nombreux cardiologues, il faudra attendre les années 1980 et la mise au point d’un traitement antirejet pour que ces transplantations se transforment en interventions quasi routinières. Ce pionnier, sorcier et chirurgien, mourra à Chypre d’une banale crise d’asthme…