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DÉCOUVERTE

Sur le chemin de l’émergence

Par DOUNIA BEN MOHAMED - Publié en janvier 2018
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Abidjan a accueilli le 5e Sommet Union africaine-Union européenne, fin novembre. Un formidable coup de projecteur pour un pays en mutation : diversification, infrastructures, formation… L’économie affiche les signes d’une croissance durable.
 
«C’était un défi pour Abidjan. En termes de logistique, une première pour nous. Et je pense que nous l’avons relevé. » Ce sentiment exprimé par un proche du gouvernement ivoirien semble partagé. Avec près de 5 000 participants, dont 83 chefs d’État ou de gouvernement – tous les pays d’Afrique ainsi que les 28 de l’Union européenne (UE) –, Abidjan était au coeur de l’actualité les 29 et 30 novembre à l’occasion du 5e Sommet Afrique-UE. Après l’Égypte en 2000, la Côte d’Ivoire est ainsi le deuxième pays du continent (premier d’Afrique subsaharienne) à accueillir la rencontre. Les autorités ont mis les petits plats dans les grands, ne laissant aucun détail au hasard. Des voies refaites en quelques jours, la sécurité renforcée autour du Sofitel hôtel Ivoire… L’enjeu était de taille : confirmer la place d’Abidjan comme plateforme diplomatique continentale. « Côte d’Ivoire is back », annonçaient les autorités ivoiriennes en 2014. Black-listé pendant la crise politico-militaire, force est de constater aujourd’hui que le pays, fort des succès de sa realpolitik, s’affirme comme un acteur majeur des relations avec l’Afrique. Avec l’Europe. Mais pas seulement. Élue membre non-permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la Côte d’Ivoire fait son entrée sur la scène diplomatique internationale. Avec une ambition non dissimulée par le chef de l’État, Alassane Dramane Ouattara : s’imposer comme le leader politique régional sur toutes les questions liées à la sécurité, le développement, le climat, l’emploi des jeunes, l’immigration… Tous les sujets au coeur des préoccupations mondiales, en somme.
« Cette élection témoigne de votre soutien à l’engagement constant de mon pays en faveur de la paix et du dialogue. Elle est aussi un appel à partager, avec le monde, notre expérience en matière de gestion de sortie de crise », déclarait-il en septembre dernier lors de la 72e assemblée générale de l’ONU. Avec un taux de croissance de 7 %, l’un des plus forts de la région, et ce six ans après ladite sortie de crise, l’ancien directeur adjoint du FMI veut faire de son pays un modèle de développement socio-économique en Afrique. Une ambition confortée par l’embellie macroéconomique. En dépit de la chute des cours du cacao, qui n’a pas été sans impact pour le premier producteur mondial, l’économie ivoirienne reste robuste. En témoigne le rapport « Doing Business » 2018 édité le mois dernier. À la 139e place, la Côte d’Ivoire, souligne le rapport, enregistre des progrès significatifs au niveau de certains indicateurs. Dont l’obtention des permis de construire (+ 19,67 %), la création d’entreprise (+ 0,34 %), le raccordement à l’électricité (+ 0,95 %), le transfert de propriété (+ 0,35 %) ou encore le paiement des taxes et impôts (+ 0,47 %).
 
La chancelière allemande, Angela Merkel, et le président Alassane Ouattara, le 29 novembre, dans le cadre du sommet à Abidjan. LUC GNAGO/REUTERS
L’attractivité du pays se renforce
Des réformes qui participent à l’amélioration du climat des affaires et suscitent la confiance des bailleurs de fonds comme des investisseurs internationaux. L’attractivité du pays se renforce. Et se diversifie. Après les Français, les Marocains ou encore les Chinois, les Indiens figurent désormais, avec une hausse de leurs investissements de 300 % en un an, comme les nouveaux partenaires privilégiés de la Côte d’Ivoire. Sans oublier les Turcs. Et les voisins du continent. Le produit ivoirien se porte bien et se vend de mieux en mieux. De quoi permettre aux autorités d’accélérer la feuille de route : la deuxième phase du Plan national de développement 2016-2020, le PND II, doit matérialiser la transformation de l’économie ivoirienne… En commençant par l’agriculture. Même si la filière cacao – 15 % du PIB national – se relève difficilement de la chute des cours sur les marchés mondiaux (plus de 30 % entre mars et octobre 2016), les graines de la transformation de l’agriculture ivoirienne sont semées. « Alors que l’année 2018 ne devrait pas voir une amélioration des cours, l’alternative serait d’augmenter le taux de transformation locale du cacao, pour atteindre les 50 % de la production nationale », exhortait Coulibaly Siaka Minayaha, directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture Mamadou Sangafowa Coulibaly, lors des dernières Journées nationales du cacao (JNCC). Déjà, les premières tablettes et autres produits dérivés du cacao 100 % made in Côte d’Ivoire ont fait leur apparition sur les étals des grandes surfaces locales, avec l’implantation de chocolatiers tels que Cemoi, Nestlé ou Mars pour le dernier venu. Mais avec un tiers des 2 millions de tonnes de cacao récoltées par an (la moitié de la production mondiale) qui est transformé sur place, la marge de progression est importante.
Objectif désormais : 50 % de transformation locale. Pour le cacao, mais également le café, l’anacarde, le coton… et tous les autres fruits du sous-sol ivoirien. Un cap inscrit dans le Plan national d’investissement agricole (PNIA), 2015-2020, un programme mené en synergie avec le PND, qui doit mobiliser 2 040 milliards de francs CFA d’investissement sur cinq ans dans le secteur, porté par le privé essentiellement. À terme, c’est un nouveau modèle agricole que la Côte d’Ivoire affichera, avec in fine l’amélioration du niveau de vie des populations rurales. Lequel a doublé entre 2011 et 2016, passant de 3 000 milliards de francs CFA (4,5 milliards d’euros) à près de 6 000 milliards de francs CFA. « C’est donc en moyenne 20 % du budget qui est distribué par an au monde paysan », s’est réjoui le chef de l’État, alors qu’il participait à l’ouverture officielle à Abidjan du 7e Forum sur la révolution verte en Afrique (AGRA).
En attendant, des signes de changements significatifs de la société ivoirienne commencent à s’entrapercevoir. Avec, pour phénomène le plus visible, l’émergence d’une classe moyenne et à travers elle de nouveaux services, habitudes de consommation, et plus largement de modes de vie inédits. Représentant entre 25 % à 75 % de la population selon les études, cette nouvelle catégorie, portée par l’embellie économique, le regain d’attractivité du pays et la création de nouveaux emplois participant à une certaine amélioration du niveau de vie au cours des cinq dernières années, est la cible des investisseurs. Dans la grande distribution : les centres commerciaux se multiplient dans la capitale. L’immobilier également, avec une construction de moyen et grand standing en plein boom. Ou encore la banque et l’assurance, avec désormais 28 institutions financières sur la place. Une concentration de l’activité qui favorise l’apparition de produits, y compris sur le digital. Mais aussi sur le plan politique, avec une « nouvelle élite » qui ne cache pas sa soif de plus de démocratie, de transparente, d’égalité… de changement.
 
Déjà 2 millions d’emplois créés
À l’image du paysage audiovisuel, en pleine mutation également avec l’arrivée de la TNT, la société ivoirienne change de visage. Et affiche ses nouvelles ambitions. Les jeunes notamment – plus de 70 % de la population nationale – poussent et participent à leur manière à la transformation. Grâce à l’essor du numérique, une niche pour les entrepreneurs, de plus en plus nombreux à se saisir des opportunités qu’offrent les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), en développant des solutions de « mobile monnaie » en zone rurale, des applications pour améliorer la prise en charge des victimes d’accident ou encore des jeux vidéo 100 % développés au pays. À tout niveau, le made in Côte d’Ivoire se développe, répondant aux nouvelles attentes de la population, et participant à la diversification de l’économie. Et à la création de postes, le grand défi pour la Côte d’Ivoire, comme nombre de pays du continent. Déjà 2 millions d’emplois ont été créés depuis 2011. Pour que d’autres voient le jour, et surtout encourager les jeunes Ivoiriens à inventer les leurs, l’État a mis en place un nouvel écosystème composé d’un ministère dédié à la jeunesse ; une agence pour l’emploi des jeunes et un guichet unique centralisant l’accès à l’information, l’accompagnement, le financement et l’incubation ; et bientôt un fonds d’investissement dont la vocation sera d’accompagner les ambitions entrepreneuriales de la jeunesse nationale.