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Modes

Fashion power !

Publié en mai 2023
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 Des stylistes audacieux, de toutes les générations, réinventent leur métier en brassant les influences et en modernisant les techniques traditionnelles. Rencontres en textes et en images.

Pathé’O, le pape des tailleurs 

Le célèbre couturier Pathé’O nous a reçus dans son atelier mythique de Treichville, Avenue 6, rue 17. Il nous a raconté son expérience avec la maison de haute couture française Dior et sa fameuse chemise Mandela.

Kader Diaby
Kader Diaby

AM : Quel est votre regard de doyen sur la mode africaine, pas seulement ivoirienne ? 

Pathé’O : Les choses ont bien changé ! Nous disposons de beaucoup de matières africaines. À l’époque, les pagnes arboraient de gros motifs difficiles à travailler, mais aujourd'hui, ils sont très variés. Même si je fabrique de plus en plus mon propre tissu artisanal, sachez que personne n'a travaillé le wax plus que moi, de 1985 à 2000. J'ai habillé pendant dix ans Miss Côte d’Ivoire. Mais à un moment donné, je me suis dit que s’il existait une ligne Pathé'O, il fallait créer une matière Pathé'O, une conception Pathé'O. Cela supposait d’inventer les couleurs, les motifs, la tendance… 

Parlez-nous de votre collaboration avec Dior. 

Ce fut une grande expérience pour moi, parce qu'on se rend tout de suite compte du fossé qui existe entre ces grands couturiers et nous. En Europe, la mode est une véritable industrie. Et l’État français la considère comme telle. En Afrique, nous n’en sommes pas encore là. Chez nous, la mode, c'est l’affaire de quelques personnes, qui travaillent seuls, dans leur coin. On ne fait pas attention à eux. Pourtant, le secteur mériterait d’être soutenu, conseillé, encadré. Après avoir assisté à un défilé de la collection Dior, à Paris, je me suis rendu compte que cette marque représente vraiment la France. Un nombre incroyable de personnalités étaient présentes.

Quelles sont les pièces que vous avez composées pour cette maison ? 

L'idée est partie d'un produit qui a plu ici, qu'on appelle le moucheté. La directrice de Dior, Maria Grazia Chiuri, était à mes côtés toute une après-midi, pour voir comment nous travaillions. C'est lors de cette visite qu'elle a vu la photo de Nelson Mandela et a tout de suite voulu qu'on reproduise le modèle. J’ai demandé que l’on contacte l'Afrique du Sud pour obtenir l'autorisation de le faire, car cette chemise était l’une des commandes spéciales faites pour le président. Malheureusement, la fondation Mandela nous a signifié que le nom « Mandela » ne pouvait pas être associé à des fins commerciales. Donc on a décidé de rendre hommage au président avec le motif moucheté. Nous nous sommes rendus chez Uniwax pour pouvoir le fabriquer. Cependant, le tissu créé de façon industrielle ne rend pas comme le nôtre. Finalement, nous avons juste fait la chemise sur laquelle ils ont inscrit « Hommage à Nelson Mandela by Pathé'O ». Voilà comment nous avons eu l'autorisation pour pouvoir l'utiliser.

Élie Kuame, à la conquête du monde

Le styliste Élie Kuame, qui a créé sa marque à Paris avant de s'établir à Abidjan en 2017, nous donne sa vision du futur de la haute couture africaine.

Kader Diaby
Kader Diaby

AM : Comment voyez-vous l’influence de Facebook et d’Instagram, ainsi que l’explosion du shopping en ligne dans le secteur de la mode ?

Élie Kuame : Le digital est réellement indispensable, et nous avons l’intelligence de nous adapter à la nouvelle ère qu’il représente. Chez Élie Kuame Couture, nous souhaitons maîtriser quoi qu’il advienne notre histoire, notre héritage, et de facto notre produit et son épanouissement. Nous sommes donc de plus en plus visibles sur les réseaux sociaux. Notre boutique en ligne est actuellement en pleine restructuration, et l’intérêt pour notre marque est en augmentation constante.

Peut-on réellement parler d’une haute couture africaine ?

La haute couture a toujours existé en Afrique. C’est même culturel ! Cependant, elle est régie par un ensemble de codes. Depuis notre installation sur le continent en 2017, nous avons toujours souhaité nous singulariser par la maîtrise technique de cet ensemble de codes. Nous pouvons parler aujourd’hui de l’émergence d’un marché pour le luxe en Afrique – et donc aussi d’un marché de la haute couture.

Comment êtes-vous arrivé à construire une image solide de couturier africain de luxe ?

Depuis le début de cette belle aventure en 2005, nous avons bâti Élie Kuame Couture en nous imposant un certain niveau de qualité. Nous nous sommes focalisés à la fois sur la particularité de l’Afrique et de son histoire, et sur son héritage métissé. Nous avons misé sur la maîtrise technique, l’exigence et un service client hors pair.

Quel a été l'impact du Covid-19 sur l’industrie de la mode ?

Finalement, cette pandémie a été favorable pour le marché africain et la consommation locale. Et dans notre secteur aussi ! En effet, tous ces confinements divers permettent de maintenir la manne financière des consommateurs sur le continent, alors qu'auparavant elle avait tendance à repartir vers l’Occident. De plus, la consommation sur le digital a explosé, ce qui est plutôt positif. Il est donc impératif de profiter de cette période pour s’imposer en matière de qualité.

Que pouvez-vous nous dire concernant votre dernière collection ?

La collection printemps-été 2021 est colorée, luxueuse et voluptueuse, et s’intitule « African Dreams ». Elle met en lumière le potentiel de notre terroir : une Afrique luxuriante, positive, riche et fière.

Aristide Loua, quand l'élégance s'écrit au masculin

Aristide Loua a lancé fin 2017 Kente Gentlemen, une marque de prêt-à-porter pour hommes qui puise son essence dans la poésie et célèbre la vie en couleurs.

Kader Diaby
Kader Diaby

AM : Votre marque a un peu plus de trois ans. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Aristide Loua : Comme on dit chez nous : « On est là ! » [Rires.] Nous sommes sur une bonne voie. L’amour et le soutien que nous avons reçus depuis le début sont incroyables. Nous sommes partis de rien, et aujourd’hui nos pièces sont vendues en ligne, mais aussi dans différentes boutiques un peu partout dans le monde, notamment au Cap, à Accra, Zurich, Paris, Londres et New York. C’est un véritable honneur de voir nos beaux petits poèmes sortir de notre atelier à Azito, et partir aussi loin de nos frontières.

Pensiez-vous un jour embrasser une carrière créative ?

Pas du tout. J’ai fait des études en sciences mathématiques à l'Université d'État de New York, dans l’espoir d’être embauché à Wall Street. Pendant les week-ends, j’allais très souvent voir des expos en ville. J’ai aussi découvert le jazz, le hip-hop, la photographie, la poésie de Maya Angelou et de Langston Hughes. Cela m’a peut-être éloigné un peu des maths… Mais le déclic « mode » s’est produit lorsque j’ai reçu des chemises en pagne de ma mère. Ce genre de pièces manquaient sur le marché. Beaucoup d’autres jeunes comme moi, issus de la diaspora, recherchaient un repère culturel de ce genre. J’ai donc décidé de créer la marque pour offrir un espace cosmopolite de mélange culturel.

Les réseaux sociaux ont-ils été un facteur déterminant de votre ascension dans la mode ?

Absolument. Je viens d’un milieu complètement étranger à la mode. Je n’avais pas de carnet d’adresses, encore moins de diplômes ou d’années d’expérience. Pour faire valoir nos créations aux yeux du reste du monde, nous avons utilisé les réseaux sociaux. Comme le dit si bien un ami, Aziz Da : « God bless Instagram. »

Pourquoi est-il si important pour vous d’assurer une production 100 % locale ?

L'Afrique regorge de talents. Le potentiel est gigantesque, l'énergie infinie. L'héritage culturel est divers. Avec du rêve et de l’action, tout peut être réalisé. On est capables de fabriquer de très belles choses chez nous, et ce depuis la nuit des temps. Et quand on produit local, on donne du travail et des ressources financières à nos communautés d’artisans, de la plus-value à leur savoir-faire, et nous générons de l'échange commercial avec d’autres régions.

Alors, cette pandémie…

Elle nous a tous frappés de plein fouet. Le volume de vente a été impacté et on a dû effacer le calendrier entièrement. Bref, c’était un véritable cauchemar. Mais ça nous a aussi permis de nous remettre en cause. Je dirais qu’il faut prendre les choses telles qu’elles viennent et continuer à avancer contre vents et marées.

Qu’est-ce qui caractérise votre dernière collection ?

Plus de vie, plus de poésie… Cette dernière collection incarne justement l'acceptation des moments difficiles de la vie. À chaque saison, il y a des périodes de douleur et de solitude. Viendront ensuite les jours de guérison et de réconfort. Et lorsque c’est le cas, pour cette campagne d’ailleurs, qui est fleurie et riche en couleurs pastel, il faut être ouvert à recevoir les fruits de ce bonheur. Ma prochaine collection s’intitulera « The Birth of Cool ». C’est un hommage à mon expérience aux États-Unis, lorsque j’ai découvert la photo de Gordon Parks, l’art de Jean-Michel Basquiat, etc. C’est également une collection qui prône les similitudes culturelles entre les peuples africains et afro-américains, surtout pendant la période des années 1970-1980.

Kader Diaby, le jeune prodige 

Avec Olooh, une marque de mode solaire, Kader Diaby s’impose comme l'un des espoirs de l’avant-garde. 

Kader Diaby
Kader Diaby

AM : Pourquoi un vestiaire masculin ?

Kader Diaby : Le vestiaire Olooh n'est pas typiquement masculin. Nous avons également des coupes féminines. L’objectif est de façonner des vêtements dans lesquels les gens se sentent bien, peu importe le genre.

Quelle place accordez-vous à la protection de l’environnement dans le choix de vos matériaux ?

Nous portons une attention toute particulière aux différents impacts que nous pouvons avoir sur l'environnement. Dès le début, nous avons fait le choix d'utiliser des matières organiques. Nous sélectionnons avec soin nos différents fournisseurs, et pour nos boutons, nous recyclons de la tuyauterie endommagée.

Comment travaillez-vous sur vos collections ?

Mon processus de création diffère d'une collection à une autre, l'inspiration peut venir du textile, de mon quotidien, d'une humeur… Le fil conducteur est mon amour pour Abidjan, la culture urbaine ivoirienne et mes origines tribales. Je viens du nord de la Côte d'Ivoire. C'est un homme malinké fantasmé, vêtu de tenues amples aux couleurs terreuses qui dessinent une silhouette à la fois décontractée et élégante, qui constitue le point de départ de toutes mes collections. Et plus globalement, Olooh raconte l'histoire d'un Abidjanais du XXIe siècle, nourri de multiples références glanées notamment autour du monde, et que l'on suit dans son évolution professionnelle, sa trépidante vie sociale, ses pérégrinations.

Vous êtes aussi photographe ?

Oui, la photo m'a choisi [rires]. C'est un moyen d'expression qui me sied. Pour moi, la photo et la mode sont très liées. Le plus important, c'est l'interaction d'une silhouette avec son environnement, valable aussi bien avec la photographie qu'avec les vêtements.

Y a-t-il d’autres domaines du design que vous aimeriez explorer ?

Bien sûr, il me faudrait plus d'une vie pour satisfaire toutes mes aspirations. Je suis passionné par l'architecture, le design de meuble, la sculpture…

Quel est l'esprit de votre dernière collection ?

Cette période de pandémie et d'inactivité était propice à la réflexion et la nostalgie. Notre dernière collection, baptisée « Boulevard Lagunaire », est issue de l'âge d'or du hip-hop ivoirien et offre une vision contemporaine du mouvement qui a donné naissance à la culture populaire du pays, et qui a laissé une empreinte inestimable à l'intérieur et à l'extérieur des frontières.