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Littérature

Wole Soyinka
Un pays en colère

Par CATHERINE FAYE - Publié en novembre 2023
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Premier auteur africain à recevoir le prix Nobel de littérature en 1986, WOLE SOYINKA revient avec un roman virulent contre la corruption, entre fable politique et réquisitoire truculent.​​​​​​​

WOLE SOYINKA, Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde, Seuil, 544 pages, 26,90€.DR
WOLE SOYINKA, Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde, Seuil, 544 pages, 26,90€.DR

Publiée sur sa terre natale en 2020, et aux États-Unis en 2021, cette fiction ingénieuse et foisonnante dénonce les dérives du pouvoir dans un Nigeria imaginaire et l’instrumentalisation du religieux, pour mieux manipuler le peuple. Cinquante ans après Une Saison d’anomie (Belfond), inspiré par les massacres au Biafra à la fin des années 1960, l’écrivain renoue avec le genre romanesque. Après plus d’une vingtaine de pièces de théâtre, plusieurs anthologies de poésie, des Mémoires, des essais, des nouvelles, il emploie ici la narration fictionnelle pour densifier son indignation et sa colère face aux injustices et aux manœuvres des pouvoirs en place. En mettant en scène un mystérieux réseau qui vend des organes dérobés à l’hôpital en vue de pratiques rituelles, l’auteur de la tragédie anticolonialiste La Mort et l’Écuyer du roi démantèle ainsi les pratiques illégales et mafieuses des dirigeants. Un roman dense et rythmé, qui entraîne le lecteur dans un maelström de complots, de fatalisme, d’utopies. Et de réflexions. La politique, la religion et l’immoralité traversent toute l’œuvre de Wole Soyinka. Son engagement est total. Emprisonnée à deux reprises, plusieurs fois exilée et condamnée à mort en 1997, cette figure de l’opposition n’a de cesse de porter les critiques les plus caustiques à l’encontre des élites corrompues et des dictatures. Lors de son discours à Stockholm, en 1986, il dédie son prix Nobel à Nelson Mandela, toujours en captivité. En 2017,àla suite de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, il déchire sa carte verte en signe de protestation, renonçant ainsi à son droit de résidence permanente, alors qu’il y enseigne. Quantàsa plus célèbre citation, «Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la dévore», elle a profondément influencé toute une génération d’intellectuels africains. Mais c’est la richesse de son imagerie poétique et la complexité de sa pensée qui font de lui le porte-parole de l’intégrité et de la justice sociale. Entre thriller et satire, son troisième roman touche sa cible.