Aller au contenu principal

Cameroun: Vent de panique

Par François.BAMBOU - Publié en mars 2020
Share
Au 30 mars, 139 cas étaient déclarés, ainsi que 6 morts. Jean-Pierre Kepseu.

Traumatisés par l’avalanche de morts en Europe, y compris de leur idole Manu Dibango, les Camerounais prennent conscience que le Covid-19 est bien présent et s’avère violent. Le gouvernement multiplie des mesures dont l’application reste difficile, notamment dans les couches précaires de la population. 
 
Les traits tirés, le ministre de la Santé publique, Manaouda Malachie, n’a pas de répit depuis le déclenchement de la crise du Covid-19. Il enchaîne les visites dans les hôpitaux, sur les sites de quarantaine, dans les aéroports, pour s’assurer de la bonne application du dispositif de contrôle. Mais aussi les réunions avec les professionnels de la santé, les déclarations aux médias et les comptes rendus quotidiens au Premier ministre, Joseph Dion Ngute, qui coordonne la task force mise en place. Ses tweets, qui montrent l’évolution de la maladie dans le pays, et les chiffres qu’il rend publics sont loin d’être apaisants. Comme beaucoup d’États, le Cameroun a cru pouvoir, au début, juguler la crise au moyen de simples contrôles de températures aux frontières, jusqu’à ce que les cas de Covid-19 se déclarent sur son sol, prouvant les limites de ce plan de prévention.
 
Une réunion de crise du gouvernement tenue dès le 17 mars a ainsi débouché sur des décisions de restriction des libertés de mouvement applicables dès le lendemain. Les frontières terrestres, aériennes et maritimes ont été fermées, sauf aux vols cargo et aux navires transportant les produits de consommation courante. De même pour les écoles, collèges, lycées, universités, grandes écoles et centres de formation. Les rassemblements de plus de 50 personnes ont été interdits et les compétitions sportives nationales, telles que le Championnat d'Afrique des nations de football 2020 qui devait se jouer au Cameroun ce mois d’avril, reportées sine die. Les réunions de plus de 10 personnes ont également été proscrites dans l’administration, laquelle doit désormais privilégier les vidéoconférences.
 
Ces décisions annoncées par le chef du gouvernement ont eu pour vertu de causer un électrochoc psychologique au sein de la population, dont une partie continuait de croire que ce mal n’affectait que « les blancs » ou que le climat rude du Sud-Sahara serait suffisant pour neutraliser le virus. Les nouvelles d’Italie, de France ou d’Espagne, où les morts se comptent par centaines chaque jour n’ont fait que renforcer la prise de conscience. Le décès du vénéré géant de la musique Manu Dibango, des suites du Covid-19, a convaincu les derniers sceptiques sur la dangerosité de la maladie. 
 
Pourtant, les mesures du gouvernement sur les fermetures de certains lieux publics à 18 heures et la distanciation sociale dans les marchés et grands magasins ont du mal à être appliquées. Les acteurs des transports continuent de braver l’interdiction de la surcharge, et il reste difficile de décongestionner les marchés, abonnés à la promiscuité et à l’insalubrité à travers tout le pays. Même la directive du ministre des Finances Louis-Paul Motaze, exigeant des banques la régulation des files devant les guichets et les distributeurs automatiques, ne fait pas écho chez une population habituée à s’agglutiner et à se bousculer. 
 
Désormais interdits de voyage à l’étranger par le chef du gouvernement, les ministres sont tenus de respecter les mêmes mesures au sein de leurs différents départements. Dans les rues de Yaoundé, Douala ou Bafoussam, où de nombreux cas sont concentrés, la peur règne mais les activités continuent. « L’idéal serait de rester chez soi pour être à l’abri, mais seuls les salariés peuvent se permettre un tel luxe. Nous gagnons notre pitance au jour le jour. Rester à la maison, c'est mourir de faim avec toute la famille. Même si sortir nous expose au coronavirus, nous n’avons pas le choix », justifie une vendeuse de vivres. Une explication qui vaut pour l’immense majorité de la population active, laquelle vit de petits métiers et évolue dans l’informel. Cette réalité explique probablement les réticences du gouvernement à imposer un confinement général, que beaucoup pourtant appellent de leurs vœux. 
 
L’autre grande crainte, c’est celle de l’effondrement de l’économie nationale, déjà mise à rude épreuve par la baisse des cours des matières premières, la crise de devises et le financement des multiples fronts des guerres contre les séparatistes anglophones, les milices centrafricaines à l’Est et la secte terroriste Boko Haram à l’Extrême-Nord. Agrégé d’économie et enseignant à l’université de Dschang, Bruno Ongo Nkoa confie au journal local Défis Actuels que le Cameroun qui exporte pour 155 milliards de francs CFA annuels dans la sous-région pourrait voir ces recettes fondre, tandis que le budget de l’État sera également contraint par une baisse des recettes fiscales et douanières consécutives à la réduction des activités économiques liées à la mise en œuvre des mesures restrictives du gouvernement. Car souligne-t-il, des secteurs comme le tourisme, la restauration et les transports seront durement affectés. Concernant le décaissement de fortes sommes comme dans les pays européens pour venir en appoint aux entreprises affectées par les répliques de cette crise sanitaire, l’universitaire se montre peu optimiste : « C’est très peu réaliste dans notre contexte. Le Cameroun, rappelons-le, fait face à plusieurs crises qui ont littéralement plombé ses ressources financières. Les mesures urgentes que l’État devrait prendre sont de deux ordres. Premièrement, limiter la propagation de la maladie et prendre rapidement en charge les cas diagnostiqués. Deuxièmement, adopter une loi de finance rectificative intégrant les pertes occasionnées sur les recettes fiscales de l’État. »
 
Pour sa part, l’Association professionnelle des établissements de crédit du Cameroun (Apeccam) proposait déjà, fin mars, la renégociation des termes de remboursement des emprunts contractés par les agents économiques impactés. Jean-Paul Nafack, président de ce cercle de banquiers, par ailleurs directeur général d’Afriland First Bank, exhorte les établissements de crédit « à être attentifs aux demandes des commerçants et des entreprises qui tirent la sonnette d’alarme pour leur trésorerie, de mettre à disposition des clients des liquidités, d’accorder et de maintenir des crédits bancaires aux agents économiques, en particulier aux PME/PMI qui rencontreront des difficultés résultant du développement de l’épidémie de coronavirus et pouvant impacter à plus ou moins long terme leurs activités ». Le Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam) fait part de ses « vives préoccupations et inquiétudes face aux répercussions déjà perceptibles auprès de nombreuses entreprises, mais surtout face au désastre économique, social et humain que pourrait entraîner cette pandémie ». Il sollicite, outre un réaménagement des délais pour les obligations fiscales, « la mise en place d’un fonds pour limiter l’impact négatif de la décision de fermer les commerces sur ordre du gouvernement ». Au 30 mars, le Président Paul Biya, fidèle à son goût pour le silence, ne s’était pour sa part, toujours pas exprimé officiellement sur la crise sanitaire.
 
En attendant, certains Camerounais tirent leur épingle du jeu : les vendeurs de masques de protection et de gels désinfectants hydroalcooliques, mais aussi d’ail, de citron, de gingembre et des quelques autres épices et écorces dont la rumeur et les réseaux sociaux vantent les prétendus effets quasi magiques pour en finir avec le Covid-19.