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Écrivain ivoirien, prix Mandela de littérature 2017

Kakou Ernest Tigori
Nous, comme le reste du monde

Par - Publié en avril 2020
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Voir la Chine et les grandes nations occidentales trembler au point d'imposer des confinements drastique à leurs populations était surréaliste pour les opinions africaines. Et pourtant...
 
Avec un décalage de quelques semaines par rapport au reste du monde, l’Afrique doit se résoudre à admettre que la chaleur des tropiques n’est point létale pour le coronavirus, comme elle voulut s’en convaincre. En effet, pour une fois que l’origine d’une épidémie est clairement identifiée hors du continent, certains hommes politiques et artistes de premier plan, se faisant les porte-parole d’une certaine opinion africaine répandue sur la Toile, n’ont pas manqué de marteler que le Covid-19 n’était pas pour l’Afrique, elle qui a eu tant à faire depuis des décennies avec le choléra, la fièvre jaune, le virus d’Ebola, la malaria, la maladie du sommeil, le sida, etc.
 
Citée depuis des décennies comme le continent le plus susceptible de développer des épidémies – en raisons, entre autres, du climat chaud et humide propice à la multiplication rapide des microbes, de la proximité d’animaux sauvages favorisant le passage à l’humain, et de l’hygiène de vie non optimale –, l’Afrique s’est finalement persuadée d’avoir aussi développé une grande résilience à toutes calamités, aucun virus n’ayant pu freiner son explosion démographique qui la projette à 2 milliards d’individus dans trois décennies. Rien qu’avec le paludisme, ne supporte-t-elle pas plusieurs centaines de milliers de morts par an ? Oui, entre les prévisions alarmistes d’hécatombe des spécialistes de santé d’un côté, et les projections d’explosion démographique des géographes de l’autre, la contradiction est si grande qu’une suspicion plane sur tous ces experts internationaux. Alors, rumeurs et théories complotistes viennent combler les zones d’ombre. Combien de fois n’a-t-on pas entendu dire que les Occidentaux cherchent à fabriquer des microbes en vue de réduire la population africaine ? Ainsi, constater qu’une crise sanitaire affaiKakou Ernest Tigori Écrivain ivoirien, prix Mandela de littérature 2017 Nous, comme le reste du monde Tribune Voir la Chine et les grandes nations occidentales trembler au point d’imposer des confinements drastiques à leurs blit aujourd’hui les sociétés et économies « du monde riche » ne peut que susciter des questions… Quoi ! Les Occidentaux, avec tous leurs grands spécialistes de santé et leurs infrastructures modernes, peuvent être fébriles à ce point ? Tout le monde à la maison, avec voitures, trains, avions et bateaux à l’arrêt ? La dictatoriale économie mondiale à l’arrêt ? Dans cette Afrique où la pauvreté confine souvent à la frugalité, l’opinion, peut-être plus qu’ailleurs, n’a pas manqué de s’interroger sur ce qui est vraiment essentiel à la vie…
 
En réalité, l’influence chinoise en Afrique étant source de multiples déplacements de personnes entre le berceau de l’humanité et le berceau du Covid19, ce dernier a trouvé dans cette insouciance africaine un boulevard ouvert à sa libre circulation. Avec les cris d’alerte des professionnels de santé, l’opinion a dû se raviser pour comprendre que le Covid-19 n’est pas un virus de pays riches, mais bien une menace pour toute l’humanité.
 
UNE BONNE VOLONTÉ PEUT-ÊTRE INSUFFISANTE 
 
Le 18 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé a dû montrer le continent du doigt, l’appelant à « se réveiller » et à se « préparer au pire » [voir le portrait de Tedros Adhanom Ghebreyesus pp. 36-37], en rajoutant de la pression sur les pouvoirs publics. L’Afrique a alors compris que les mesures drastiques prises en Occident, loin d’annoncer un effondrement, constituent une gestion efficace dont elle s’inspire désormais. Les gouvernements font des points quotidiens d’information sur l’évolution de la pandémie, pendant que les populations,
Ethiopian Airlines, emblème de l’Afrique émergente, a vu son activité stoppée net. Avec plus de 80 destinations interrompues et une perte de 200 millions de dollars en deux mois. L’entreprise se réoriente vers l’activité fret, vitale pour l’Ethiopie, pays enclavé. SHUTTERSTOCK
de plus en plus inquiètes, font de leur mieux pour respecter les consignes. En réalité, les Africains, bien conscients des limites de leurs moyens de réaction et résignés à une certaine fatalité, veulent compter davantage sur leur résilience forgée depuis des décennies par la répétition des épidémies… et la protection divine. Alors, pour les adeptes de l’irrationnel, « hommes de Dieu » et marabouts rivalisent sur la Toile africaine de prophéties ou de témoignages de guérison, quand ce ne sont pas carrément des présentations de médicaments efficaces contre tout, bien sûr y compris le coronavirus.
 
Heureusement, les professionnels de santé montrent une grande mobilisation dans cette crise, mettant au service des pouvoirs publics et des populations leur grande expérience dans la gestion des épidémies. Seulement, soulignent-ils, avec la modicité des moyens, cette bonne volonté risque d’être insuffisante, surtout que l’Afrique n’est pas sûre de pouvoir compter sur la mobilisation de l’aide internationale, chaque pays ayant fort à faire en interne.
 
Alors, au fil des points qui annoncent de plus en plus de contaminés et de morts en Afrique et sur le globe, l’inquiétude grandit. Enfin, notons que le Covid-19 a apporté ceci de nouveau que c’est la première fois en soixante ans d’indépendance que les populations peuvent vivre le même sort que leurs dirigeants : toute évacuation sanitaire en business class vers Paris ou Genève étant impossible, ils se retrouvent sur un pied d’égalité, contraints de se débrouiller tous avec ce qui est réalisé comme structures de santé dans leur pays. Puisse l’expérience servir de leçon...