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Mali: L’insécurité sanitaire

Par Aurélie Dupin - Publié en mars 2020
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Mercredi 25 mars. Un communiqué du Porte-parole du gouvernement malien est diffusé et rapidement relayé par les réseaux sociaux. La veille, deux personnes ont été testées positives au Coronavirus et prises en charge par les autorités sanitaires. Elles sont de nationalité malienne, arrivées de France les 12 et 16 mars. Le lendemain, au journal de 13h de la chaine nationale ORTM1, le Pr. Akory Ag Iknane, Directeur de l’Institut national de la Santé publique, annonce deux nouveaux cas diagnostiqués la veille, dont une dame, venant elle aussi de France et ayant fait un bref détour par le Burkina Faso, et un homme qui, au contraire, n’a effectué aucun déplacement. Ce quatrième cas montre que la propagation locale de la maladie a débuté, au delà des cas infectés en Europe et avant la suspension des vols commerciaux effective une semaine plus tôt.

L’exception malienne n’est donc plus. Le pays est officiellement atteint par la pandémie mondiale de coronavirus, malgré les mesures prises le 17 mars à l’occasion de la Session extraordinaire du Conseil supérieur de la Défense nationale : fermeture de toutes les écoles pendant 3 semaines, la suspension des vols commerciaux, l’interdiction de tous les regroupements à caractère social, sportif, culturel et politique de plus de cinquante personnes et la fermeture des bars et boites de nuit. Pourtant, la mesure de la situation était loin d’être prise par la majorité des Maliens qui, pour certains, pensaient encore que la maladie n’était pas encore ancrée sur le territoire et donc qu’il était inutile de s’en prémunir, voire que le Covud 19 n’existait pas… Résultat, le dimanche 22 mars, Bamako accueillait de nombreux mariages festifs et les meetings politiques en prévision du premier tour des législatives le 29 mars battaient leur plein.

L’officialisation des premiers cas et les nouvelles mesures annoncées consécutivement par le Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, ont donc amorcé une prise de conscience. Un couvre-feu de 21h à 5h du matin a été instauré depuis le 26 mars ainsi qu’une fermeture des frontières terrestres. Cependant, les élections ont été maintenues et les lieux de culte restés ouverts. C’est de façon indépendante que, le 20 mars, la Conférence épiscopale du Mali a suspendu les messes. Pour ce qui est des mosquées, bien plus fréquentées que les églises, elles demeurent ouvertes au public et réunissent les fidèles pour les prières.

Parallèlement, la réponse sanitaire s’organise mais s’annonce d’emblée insuffisante. Le Mali dispose de quatre centres de dépistage et trois centres de prise en charge du Covid 19 avec une capacité de 37 lits. Une extension à 100 lits est envisageable au CHU du Point G et à l’Hôpital du Mali mais n’est pas encore effective. Pour ce qui est des respirateurs, cinquante-six sont disponibles et répartis entre plusieurs établissements publics et privés. Soixante seraient en cours d’acquisition par le ministère de la Santé et des Affaires sociales…

Ces faibles capacités sont d’autant plus inquiétantes que le contexte est propice à l’augmentation rapide de la propagation comme l’atteste l’officialisation quotidienne de nouveaux cas testés, jour après jour, ainsi que l’annonce du 1er mort « local » le 28 mars. La prise de conscience tardive et l’ignorance du nombre de personnes contaminées et asymptomatiques laisse présumer d’une propagation déjà largement au delà des 20 cas avérés pris en charge et des 350 personnes contact en auto isolement seulement 5 jours après la découverte des premiers malades. D’autant que d’une manière générale, l’organisation sociale et familiale au Mali favorise la promiscuité et donc une transmission rapide.

Le premier tour des élections législatives, maintenues malgré tout le 29 mars, pourrait également être un accélérateur de la contagion. Si des mesures sanitaires devaient être prises afin de sécuriser le vote, elles ne purent être effectives dans tous les bureaux selon des témoignages concordants d’électeurs bamakois. Le taux de participation à ce scrutin s’est avéré extrêmement bas. Et au 31 mars, le second tour du 19 avril n’était toujours pas annulé.

Depuis, la conscience du péril fait son chemin. Ceux qui doutaient encore de l’existence même du virus, portent aujourd’hui un masque et saluent d’un geste du coude. Les installations pour se laver les mains au savon ont repris place devant les bureaux, les magasins et les administrations comme du temps de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. Chacun s’est équipé, quand il n’y a pas rupture, d’une bouteille individuelle de gel hydro-alcoolique. Cependant, ces moyens de protection sont loin d’être accessibles à tous, d’autant que les prix se sont soudainement envolés. Un masque vendu 500 francs CFA il y a quelques semaines, n’est pas aujourd’hui à moins de 2 000 francs CFA.

Si les ONG et organisations internationales comme la MINUSMA sont passées au télétravail pour le personnel non essentiel depuis la semaine du 23 mars, les banques ont aménagé leurs horaires une semaine plus tard et ferment désormais à 14h30. Certaines entreprises privées promettent de réduire au maximum les déplacements de leur personnel en favorisant le travail à domicile.

Mais l’Etat n’avait pas, à la fin mars, pris de décision de confinement de la population. On s’interroge d’ailleurs sur ce qui pourrait être mis en œuvre, le modèle asiatique ou même européen étant difficilement applicable dans le contexte local. Les familles sont souvent nombreuses, ce qui rend difficile l’isolement. Enfin, l’informel domine, et voue à la précarité tous ceux qui ne pourraient plus sortir exercer leur petit métier.

Pour toutes ces raisons, le coronavirus s’annonce comme une nouvelle épreuve. Qui ne semble pas encore inquiéter au plus haut niveau le Mali, pourtant fragile et déjà sévèrement éprouvé par les effets de la guerre et des attentats djihadistes. En pleine crise sanitaire, le chef de file de l’opposition Soumaïla Cissé en a fait les frais le 25 mars. Il a été enlevé par le groupe armé du Front de la libération du Macina, alors qu’il était en campagne pour les législatives dans la région de Tombouctou, à Niafunké, son fief électoral.