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Interview

Michel Yao: « En Afrique, l’impact du Covid-19 sera aussi important, voire davantage, qu’en Europe et en Chine »

Par Cédric Gouverneur - Publié en mars 2020
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Michel Yao est le responsable des opérations d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le continent. Ce docteur, diplômé de l’Université de Montréal (Québec), dispose de quinze années d'expériences diverses dans les questions sanitaires : il a été conseiller d'urgence régionale pour l'Afrique de l'Est (2004-2007), l'Afrique australe (2007-2009) et l'Afrique de l'Ouest (2009-2010), puis coordinateur humanitaire des Nations unies en République centrafricaine (2014-2019). Le spécialiste ne cache pas son inquiétude face à la propagation du Covid-19 sur un continent mal équipé pour combattre ce type d’épidémie.
 
AM : Quels sont les besoins les plus urgents des pays africains ? 
Michel Yao : Il faut isoler et traiter les malades. Et fournir des masques afin d’assurer la biosécurité des personnels de santé. Les cas les plus graves devront être traités dans des unités de soins intensifs. Or, leurs capacités sont limitées en Afrique. Afin d’y pallier, nous réfléchissons à la mise en place de structures temporaires. Ce qui implique des besoins en concentrateurs et bonbonnes d’oxygène, en respirateurs mécaniques. L’autre nécessité est d’assurer l’accès de tous à des installations de lavage des mains. Comment assurer l’approvisionnement en eau et en savon dans certaines communautés ? Nous devons aussi mettre à la disposition des populations des campagnes de sensibilisation par affiches ou SMS. Il faut, en clair, couvrir tous les aspects de l’épidémie. 
 
A-t-on une idée des besoins en masques ? 
Nous sommes en train de compiler les données : 100 soignants ont besoin de 10 000 masques – sa durée de protection n’étant que de 3 à 4 heures. On peut traiter des cas sporadiques de Covid-19, mais en cas de multiplication des cas, comme en Chine ou en Europe, ces besoins en masques vont monter en flèche. Or, beaucoup de ces équipements ne sont pas fabriqués en Afrique. 
 
Les cas graves de Covid-19 ont besoin d’être placés en unités de soins intensifs. Connaît-on les capacités du continent en ce domaine ? 
À ce jour, nous ne connaissons pas le nombre exact de lits en unités de soins intensifs disponibles sur le continent. Mais nous savons que les capacités sont extrêmement limitées : pas plus de 100 lits en centre hospitalier universitaire (CHU), parfois une salle avec deux lits à l’hôpital régional… Clairement, ce ne sont pas du tout des capacités à la hauteur des besoins en cas d’épidémie, sachant qu’en Chine ou en Europe, 14% des malades sont hospitalisés et 5% ont besoin de soins intensifs. 
 
Les Africains qui vivent avec le VIH, la tuberculose ou bien le paludisme sont-ils plus vulnérables aux formes les plus agressives du Covid-19 ? 
Nous disposons encore de trop peu de cas en Afrique pour formuler des statistiques, mais il apparaît qu’en Chine et en Europe, quand le Covid-19 est associé à des maladies chroniques, le taux de mortalité augmente. La tuberculose, le VIH et la malnutrition par exemple affectent l’immunité : on soupçonne là des effets négatifs qui vont accentuer la létalité. C’est plus qu’inquiétant, et c’est à prendre au sérieux. Si cela présente le même tableau qu’en Chine ou en Europe, cela va être extrêmement difficile à gérer. 
 
Sait-on combien de personnes pourraient être touchées à travers le continent ? 
Nous sommes en contact avec des chercheurs, nous attendons des résultats ces prochaines semaines. Ce que l’on peut dire, c’est que l’impact sera aussi important, voire davantage, qu’en Europe et en Chine. 
 
Le public africain prend-il conscience de la situation ? 
Oui, il commence. Mais il faut mettre en place une stratégie de communication sur tout le territoire : l’expérience des précédentes épidémies nous a démontré qu’une approche culturelle et communautaire pouvait avoir un grand impact. Il faut se préparer à une épidémie de grande ampleur, avec une contamination à grande échelle. C’est hélas de plus en plus probable…
 
Comment isoler les malades, s’écarter des autres, dans une société très sociable, où les différentes générations vivent ensemble, où les minibus et les taxis collectifs sont bondés ? 
La promiscuité est un problème. Les modes de vie sont difficiles à modifier. C’est très compliqué, il faudra être inventif. Agir au niveau des communautés. Peut-être faudrait-il songer à utiliser les locaux des écoles, fermées à cause du virus, afin d’isoler les malades ?
 
L’OMS avait besoin de 675 millions de dollars pour faire front. Les a-t-elle reçus ? 
Je n’ai pas les chiffres exacts, mais nous avons reçu des contributions, y compris d’États pourtant eux-mêmes déjà affectés par l’épidémie. Nous leur en sommes très reconnaissants. Nous mobilisons également les chercheurs pour les essais cliniques. Et la Chine fournit des masques. 
 
L’expérience d’Ebola peut-elle être utilisée afin de lutter plus efficacement contre le Covid-19 ? 
Il est indéniable que les pays qui ont souffert de l’épidémie d’Ebola sont mieux préparés à affronter le nouveau coronavirus : les personnels soignants y sont habitués à travailler avec du matériel de protection. Et les structures d’isolement sont réutilisées afin de séparer les malades atteints par le Covid-19. 
 
Comment l’OMS coordonne-t-elle ses efforts avec les États et les différentes institutions ? 
Nous constituons des plates-formes régionales à Dakar et Nairobi. Dans chaque pays, au niveau du résident des Nations unies, des autorités et des ambassadeurs, nous allons définir des plans de réponses, multi-agences mais aussi multisectoriels.